Il est des " Mondes " où l' uniformité n' a pas encore sévit , où des " Indiens " persistent à se distinguer . Peut être voyager c' est aussi quémander ces parcelles d' authenticité . A nous autres en quête perpétuelle de ces différences , le Yunnan offre encore plus que nous l' espérions .Voyeurs , voleurs d' images , nous courons les marchés de campagne . Ici ce sont comme souvent les femmes qui affirment de fort belle manière l' identité de chaque groupe ethnique , parées de leurs magnifiques tenues traditionnelles . Elles vendent le contenu de leurs hottes étalé là à même le sol : légumes , fruits , volailles ... Les hommes profitent de la sortie pour se ravitailler en tabac , puis ramènent en laisse les petits cochons qu' ils ont âprement marchandés .
Conscients d' être face à un monde appelé à disparaître , nous aimerions garder à jamais ces images dans un petit coin de notre mémoire .
Le Yunnan à vélo c'est beau , vraiment beau . Rien que du beau !
Une nature sauvage , montagnes recouvertes de forêts denses à l' infini , rivières émeraudes noyées dans un gouffre de verdure .
Mais surtout la montagne domestiquée , façonnée par ces artisans de la terre que sont les paysans Yunnans . Arqueboutés sur ces pentes , armés de simples pioches ils bâtissent encore ces terrasses en espalier où s' étageront les plantations de thé . Nous ne nous lassons pas d" admirer ces théiers alignés , taillés , verts rubans enlaçant la montagne à vous donner le tournis . Ici le moindre carré de terre cultivé mérite le coup d'oeil : toujours cette perfection , cette finition parfaite .
Et puis surtout il y a les rizières . Un des plus beaux paysages que nous ayons vu , peut-être le plus touchant . Comment ne pas s' émouvoir devant ces tableaux que forment les rizières dans la région de Yuanyang ? Vues plongeantes vertigineuses sur des patchworks de vasques en contrebas . Vasques en terrasses , ondulantes , dégringolant de la montagne . Miroirs scintillant sous le soleil , après la pluie le vert et le safran se mélangent dans une déclinaison de pastels très douce . Il y a quelque chose de divin dans ce paysage , oeuvre de générations de simples humains . Peut-être ont ils voulu , au fil des siècles , marche après marche , se rapprocher des cieux ?
Le riz nourrit encore la Chine , et la machine n'a toujours pas sa place sur ces pentes escarpées , alors on voit le paysan retourner la terre détrempée avec sa charrue rudimentaire tirée par le buffle . Les paysannes alignées plantent en rythme le riz , reculant d' un rang dans un même mouvement . L' eau est détournée , canalisée , distribuée , puis retenue de mille façons ingénieuses .
Et l' on se sent parfois ici au bout du monde .
Yuanyang , Yunnan , Chine le 16 avril 2009